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La pétition au parlement !

Ci-dessous, le texte que nous avons lu lors de la commission logement du 2 février, organisée suite à la remise de notre pétition. Nous remercions tous.tes celles et ceux qui l’ont signée, qui l’ont portée avec nous, qui ont diffusé nos exigences, qui étaient présent.es au rassemblement Place Saint-Jean et qui nous ont accompagné.es à l’intérieur. Rage et paillettes, la suite arrive bientôt !

Pour lire notre intervention c’est ici, pour la vidéo… c’est ici !

Crédit photo : FéBUL/BUFH

0. INTRODUCTION

Action Logement Bruxelles est un collectif, apartisan, issu du secteur associatif et militant pour le droit au logement. Nous portons un certain nombre de valeurs et de revendications, des trajectoires politiques. Depuis des dizaines d’années les loyers augmentent. Nous pensons que l’enjeu de les faire baisser s’impose à nous, la collectivité, la société civile. Et on sait que c’est possible ! Les choix politiques actuels ne permettent pas de les faire baisser (au contraire). Il faut favoriser un changement structurel. C’est dans ce cadre-là que nous avons fait cette pétition, signée par des habitants, habitantes et par une quarantaine d’associations et collectifs.

Nous travaillons tous les jours avec des personnes mal logées, non logées, des personnes en risque d’expulsion ou déjà expulsées, des personnes sans-abri ou anciens sans-abris. Nous côtoyons au quotidien le mal logement et ses conséquences sur la vie des gens, leur existence.

Le « Droit à un logement décent, le droit à la protection d’un environnement sain », Article 23 de la Constitution, est pourtant un droit constitutionnel. Il n’est pas appliqué, pas respecté. Depuis des années nous vivons dans une atteinte permanente à l’Etat de droit. L’Etat n’assure pas son rôle en ne garantissant pas à chacun et chacune un droit fondamental : le droit d’avoir un toit sur sa tête, de vivre dignement. Il nous fallait en parler avec vous, représentants, représentantes, élus, élues, garants de l’application des lois.

 

La pétition que nous allons vous présenter a été portée par toutes ces personnes qui s’engagent avec nous pour une baisse des loyers et l’accès à un logement décent. Elle a été écrite à la fin du confinement, alors que les activités reprenaient et que le moratoire sur les expulsions arrivait à son terme.

La situation des habitants, habitantes ne s’améliore pas, elle se détériore. Il faut des mesures fortes et structurelles pour répondre à l’urgence sociale et préparer l’avenir.

Quatre points développés :

  •     Le contexte bruxellois ;
  •     Les politiques publiques ;
  •     Mythologies économiques sur lesquelles elles sont fondées ;
  •     Les sept propositions contenues dans la pétition ;

  Après vous avoir écouté, nous pourrons en discuter, et répondre à vos questions ou réflexions.

1. Contexte bruxellois

Merci Olivier. Nous allons donc commencer par poser le cadre. Et poser le cadre, ça va passer par citer certains chiffres, et décrire un peu la réalité que recouvre le mal-logement à Bruxelles.

Quand nous avons écrit la pétition que nous vous présentons aujourd’hui, 46.000 familles attendaient un logement social. Aujourd’hui, donc deux ans plus tard, ce sont 51.000 ménages qui poireautent, qui n’ont d’autres choix que de vivre dans un logement trop petit, trop cher, insalubre, faute de mieux. 51.000 ménages, c’est un peu moins de 10% des ménages, mais donc au moins 10% de la population bruxelloise.

Se loger est devenu compliqué et cher pour les locataires de la classe moyenne, et du côté des classes populaires, la situation est désastreuse depuis de trop nombreuses années. Le marché privé ne peut pas loger dignement les ménages pauvres – le taux de risque de pauvreté des locataires est environ cinq fois supérieur à celui des propriétaires : la concurrence est immense, les logements coûtent trop cher.

Et derrière les moyennes se cachent des réalités très contrastées selon notre niveau socio économique, selon notre genre, selon notre origine, selon notre couleur de peau. Pour ne prendre qu’un seul exemple, en moyenne en 2020 les ménages bruxellois dépensent 34,6% de leur budget dans leur logement (ce qui comprend le loyer, l’eau, l’énergie, l’entretien,…). Mais pour les ménages dont les revenus ne dépassent par 1500€, c’est 60% du budget qui est mangé par le logement ! En 2018 une personne isolée bénéficiaire du revenu d’intégration sociale allouait 72% de ses revenus au logement. Il ne lui resterait donc que 286 euros comme reste à vivre. 286€. Pour toutes ses autres dépenses (alimentation, frais médicaux, vie sociale et culturelle, vêtements, …). Je vous laisse imaginer la gymnastique mentale et le stress pour arriver à la fin du mois. Et le « non-essentiel » sur lequel elles et ils doivent rogner. Tous ces chiffres sont issus de l’excellent livre « une approche féministe du logement » d’Angela D., Livre préfacé par madame la secrétaire d’état au logement, j’imagine dès lors qu’ils ne lui sont pas inconnus.

Ce marché exclut, fragilise, menace la santé physique et mentale des habitant.es, sans compter que s’y exerce un racisme et un sexisme décomplexé, puissamment appauvrissant pour les personnes et les ménages concernés.

Je voudrais terminer ici en mettant en lumière un dernier élément de contexte important : le fait que le mal logement se décline au féminin : les femmes sont surreprésentées dans deux des trois catégories des plus mal logé.es (à savoir les personnes isolées, familles monoparentales et personnes âgées). On pourrait aussi parler des enfants, les citoyen.nes de demain, qui pour 40% d’entre eux vivent dans des logements insalubres.

Alors penser une politique du logement à la hauteur de tous ces défis, c’est lutter contre la pauvreté, mais c’est aussi lutter pour l’égalité entre les femmes et les hommes, et pour permettre aux enfants de vivre dans des conditions dignes.

Début 2021, la Région bruxelloise présente son « Plan d’Urgence Logement ».

Aucun changement structurel, aucun renversement de tendance n’y est engagé. Les mesures mises en oeuvre dans ce plan se soldent par un transfère net d’argent public vers des propriétaires ou de grandes entreprises privées. Nous ne nions pas que le gouvernement ait « trouvé des solutions » pour des milliers de ménages. Mais nous refusons que la politique se borne à proposer une quantité de « solutions » toujours inférieure aux besoins, et donc à sélectionner des catégories de pauvres à aider. Si on ne remet pas en question les valeurs du marché nous nous condamnons collectivement à payer toujours plus tandis que des personnes s’appauvriront toujours plus. Ce plan n’est rien d’autre qu’une solidarité de la collectivité vers les bailleurs.

Si nous sommes ici aujourd’hui, et si le droit au logement et à l’habitat est si important selon nous, c’est parce qu’avoir un lieu à soi est un fondamental pour pouvoir se déployer en tant qu’habitant.es, en tant que citoyen.ne, en tant que parent.es, en tant qu’ami.es. Et nous refusons qu’il soit considéré comme normal, comme acceptable, que certain.es habitant.es en soient exclu.es. En fait, il s’agit de penser des politiques pour que nous puissions toutes et tous habiter la ville, bien plus que simplement « loger les gens »  – et cela étant dit, même juste « loger les gens », nous n’y arrivons pas : plus de 5000 personnes dorment quotidiennement en rue à Bruxelles.

2. Les impensés sociaux-sanitaires des politiques publiques

S’il est vrai que face à l’inflation le gouvernement bruxellois a fini par décider de mesures limitant l’indexation des loyers, celles-ci sont arrivées bien trop tard, certaines temporaires, il n’y a aucun effet rétroactif, et sont amplement insuffisantes au regard du contexte que nous venons de vous décrire. A ce sujet, nous souhaitons affirmer ici un élément central : le mécanisme d’indexation des loyers n’a de sens que dans un marché régulé. En effet, l’essence de l’indexation des loyers est de les faire évoluer en fonction du niveau de vie. Mais quand on s’attarde sur les chiffres, on se rend très vite compte que les loyers augmentent au delà de l’indexation. En fait c’est entre les baux que les augmentations de loyer se font sentir, elles sont dès lors complètement déconnectées du niveau de vie. Les bailleurs gagnent sur les deux plans : indexation ET fixation libre du loyer. Pour vous donner une idée, ces 10 dernières années les loyers ont augmenté de minimum 20% au delà de l’indexation. 20%. En plus de l’indexation. Et ces augmentations se font évidemment proportionnellement plus sentir pour les budgets serrés, celles et ceux qui avaient déjà du mal à joindre les deux bouts avant.

À cela s’ajoute la crise énergétique, qui s’est accélérée avec la guerre en Ukraine mais existait bien avant. Avec la flambée des prix de l’énergie, ce ne sont plus uniquement les plus précaires qui vivent une situation de précarité énergétique, mais aussi les classes moyennes modestes. Face à cette situation, de nombreux ménages ont décidé d’arrêter de chauffer leur logement. Décision qui a des conséquences désastreuses sur la santé de ces personnes évidemment, mais aussi sur l’état de leur logement : c’est bien parce que les habitant.es chauffent leur logement qu’ils ne se dégradent pas. La situation énergétique risque d’avoir des conséquences durables sur la ville. Qu’attendez-vous, qu’après la rénolution, vienne la mérulition?

On sait que l’état du logement joue un rôle majeur en matière de consommation d’énergie. On sait aussi que les logements les plus énergivores, dont une partie au moins est insalubre, sont occupés par les ménages les plus modestes. Des logements de mauvaise, voir de très mauvaise qualité intègrent le marché locatif privé et trouvent rapidement preneur faute de solutions plus adéquates. En fait la précarité énergétique illustre bien la double peine dont sont victimes les ménages les plus pauvres : contraints d’accepter des logements de mauvaise qualité, et d’en assumer le coût énergétique. La solution passe notamment par une amélioration de la performance énergétique du parc locatif privé. Mais de la pertinence de sa mise en œuvre dépend l’équité de traitement des habitant.e.s. S’il est logique que la puissance publique apporte son soutien pour les travaux énergétiques de petits propriétaires bailleurs qui ont encore un crédit à rembourser et sont confrontés à la remontée des taux d’intérêts, cela ne peut se faire sans un gel du loyer en contrepartie. Car sinon nous savons sur quelles épaules l’amélioration du bâti va retomber : les locataires, encore et toujours.

En effet, dans un marché locatif privé les logements rénovés valent plus cher que les logements qui ne sont pas rénovés. Le corollaire de cette affirmation est effrayant : pour occuper un logement pas cher, on se retrouve de fait à occuper un logement qui n’est pas rénové. Les locataires pauvres sont structurellement logés dans un bâti peu ou mal entretenu.

Quant aux travaux de réhabilitation énergétique des logements détenus depuis des décennies par de gros propriétaires bailleurs, ils sont déjà payés puisque les loyers ont servi de thésaurisation pour le paiement de l’entretien et de la mise aux normes du logement. Car oui c’est bel et bien à ça que servent les loyers. En effet, en moyenne sur un mois de loyer perçu, un propriétaire bailleur en réinvestit +- 20% l’entretien du bien, +- 30% part en taxations diverses, et le reste est directement empoché par le bailleur. Sacrée rentabilité tout de même!  Il est donc primordial que toute politique publique de soutien telle que renolution et home grade distinguent les profils fiscaux parmi les bailleurs, qui ne constituent pas un ensemble homogène de bénéficiaires, loin s’en faut.

 

Le plan de la Région bruxelloise ne fait que démontrer ce que nous savions déjà : à choisir entre trouver structurellement une solution pour les locataires (et les ménages peu nantis), ou se garantir la paix avec les propriétaires bailleurs, le gouvernement choisit encore et toujours la défense de la propriété privée sur la défense du droit au logement, pourtant inscrite dans la constitution belge. 

3. Les mythologies sur lesquelles sont fondées les politiques publiques

Les politiques publiques sont fondées, aujourd’hui et depuis quelques décennies, sur des croyances largement répandues et pourtant tout aussi largement mises à mal par l’expérience. En matière de logement, il en est une qui a la vie dure à Bruxelles, c’est que la production de logements neufs par la promotion immobilière privée ferait baisser les prix.

Pour ce qui est de Bruxelles, force est de constater que ça ne marche pas: les prix n’ont jamais été aussi élevés malgré l’orientation des politiques publiques vers cette non-politique: laisser faire le marché.

Et de fait, les études le prouvent: laisser le privé construire plus de logements neufs ne fait pas baisser les prix. Dans l’article « Promotion immobilière: le mirage du choc d’offre », il est démontré, sur des séries longues et exhaustives réalisées à partir de données récoltées systématiquement auprès des professionnels de la construction en France, que les prix des appartements ne baissent jamais. Quelle que soit la quantité de logements mis sur le marché.

Si on y pense quelques instants, ce résultat est parfaitement logique: vous ne verrez pas des promoteurs privés s’engager sur un marché s’ils pensent que les prix vont stagner, ce n’est pas bon pour leurs marges. Donc s’ils sont là, c’est pour que les prix montent.

Je prendrai le temps ici d’étayer encore un peu cette affirmation, en parlant de la financiarisation de la construction de logement, et de sa propriété.

Financiarisation de la construction / production

La région de Bruxelles capitale a donc fait le choix de confier la construction de logements à des promoteurs privés: Atenor, Immobel, BPI, Triple Living, … vous connaissez ces noms, ils font partie des promoteurs qui font le plus de demandes de dérogations aux règles d’urbanisme.

Je le disais à l’instant, des promoteurs privés, notamment de cette envergure, n’investissent dans une ville que s’ils estiment que les prix du foncier et des loyers vont augmenter. C’est la possibilité de cette augmentation qui leur permet d’anticiper des plus-values conséquentes et de les annoncer à leurs actionnaires, leurs investisseurs et leurs créanciers. Le message peut ainsi être: prêtez-nous; achetez nos actions ; vous en tirerez de beaux profits, nous garantissons  des dividendes en hausse et des intérêts payés rubis sur ongle.

Ces promoteurs vont donc chercher des fonds sur les marchés financiers avec un discours attendu, et il se trouve que la période est plutôt faste: de l’argent il y en a beaucoup, notamment après les sauvetages à répétition du système (2008, 2011, 2015, 2020…). C’est cet argent, ce capital, qu’on voit se matérialiser dans les rues de Bruxelles, sous la forme de projets immobiliers multiples et parfois gigantesques. Leur point commun est qu’ils ne correspondent pas aux besoins de la population avoisinante. Et de fait, certains promoteurs ne s’en cachent pas, comme l’un deux qui a affirmé il y a quelques années que « l’habitant de la ville d’aujourd’hui [vos électeur.ice.s, ceux-là même à qui vous rendez des comptes] sont les ennemis de la ville de demain [celle que ce promoteur imagine et qui est donc conforme à ses intérêts]. Les habitants de la ville d’aujourd’hui sont les ennemis de la ville de demain.

Les promoteurs privés ont besoin que les prix montent, les locataires qui composent 2/3 de la population bruxelloise ont besoin qu’ils baissent. Les promoteurs privés n’offriront donc à aucun moment une réponse aux problèmes de logement énoncés par Charlotte Renouprez et Guillaume Joly avant moi, et prétendre que les prix vont baisser en faisant construire du neuf par des promoteurs privés, sans poser de quelconque contrainte sur les prix de location des biens, est donc au mieux un terrible malentendu, au pire une volonté délibérée de mettre une partie de la population dehors.

Financiarisation de la propriété

Voila pour la financiarisation de la production des logements. Concernant les propriétaires, de ces logements maintenant:

Le professeur de la KUL Manuel Aalbers, éminent spécialiste de la financiarisation du logement, explique bien que, si la propriété des logements par des fonds d’investissement est encore minoritaire à Bruxelles, tout est prêt pour que cela change.

Il existe ainsi des dispositifs légaux favorables à l’achat de logements en grande quantité par des acteurs financiers, les SIR, qu’on connaissait jusqu’il y a quelques années sous le nom de SICAFI (Home Invest Belgium est l’une d’entre elles, avec un parc immobilier d’une valeur de 680 millions dont 2/3 sont situés en Région de Bruxelles-Capitale). Ces SIR lèvent des capitaux sur les marchés financiers internationaux, via la bourse de Bruxelles. Leur pouvoir d’achat sur la ville est donc potentiellement immense.

Autre exemple:  lorsque des promoteurs construisent des projets de plusieurs centaines de logement, ils ne se fatiguent pas à vendre à la pièce, appartement par appartement, à des particuliers: ils (pré)vendent à des fonds d’investissement. (Ca a par exemple été le cas d’Immobel, qui a vendu 129 logements étudiant au fonds luxembourgeois Quares Student Housing avant même l’obtention du permis de bâtir pour le projet Brouck’r.) Là encore, aucune règle ne semble s’y opposer, et la propriété des logements tend à se concentrer entre les mains de société d’investissements. Elle répond donc de plus en plus à des logiques de maximisation des profits qui s’accompagnent de loyers beaucoup trop élevés.

Est-ce que cela signifie qu’il faut arrêter de produire des logements neufs? Non, mais il faut les confier à des acteurs qui agissent selon des principes de production et de propriété non-spéculatifs. La production publique de logement social, et les formes de propriété collective et coopérative incluant des mécanismes anti spéculatifs sont les meilleures réponses à ces enjeux.

4. Liste des exigences reprises dans la pétition

Mes coreligionnaires viennent de brillamment démontrer que la situation du marché locatif privé est très loin de réaliser le droit au logement. Mais rassurez-vous, les solutions existent, et elles sont politiques. Ca tombe bien puisque vous êtes, je crois, des représentants politiques.

Il est temps pour moi maintenant de vous détailler les points concrets que nous portions dans notre pétition.

Nous réclamons :

  1. Une baisse des loyers immédiate de 25% par rapport à la grille indicative existante des loyers.  Soit un retour aux loyers de 2004 augmentés de l’indexation depuis lors. Nous refusons de payer la spéculation immobilière. 

Nous proposions cette mesure précise il y a deux ans, une baisse des loyers, parce que, comme nous venons de le démontrer, ils doivent baisser, et 25% qui correspondent à l’augmentation moyenne prise par les loyers hors de l’inflation.

Cela dit, de nombreux autres dispositifs peuvent être imaginés ou copiés. Il s’agit d’acter clairement que les loyers ne vont pas baisser d’eux-même par une force magique du marché, ils vont même très probablement continuer à augmenter. Si on ne décide pas d’agir sur la valeur des loyers nous allons simplement voir se développer une ville trop chère, dans laquelle la majorité des habitant.es ira de plus en plus mal.

Avec des loyers élevés et des bas revenus, ce sont des dépenses importantes ne sont pas réalisées : soins de santé, loisirs, etc. Plus généralement, c’est l’inadéquation entre les besoins des gens et les logements qu’ils peuvent se payer va être de plus en plus problématique. Mais d’autres éléments nous semblent trop peu pris en compte : les décohabitation sont déjà difficiles à réaliser notamment pour les classes populaires. Au fur et à mesure que les loyers augmentent, elles deviennent de plus en plus compliquées, jusqu’à paraître impossible. De quoi parle-t-on ici ? De jeunes adultes qui ne peuvent quitter le foyer et s’émanciper, de femmes qui ne peuvent pas se séparer de conjoints violents, de couples forcés de rester ensemble malgré le mal-être, des personnes obligées de vivre de façon collective alors qu’elles ne le souhaitent pas, etc. Je vous les listes mais pour moi il ne s’agit pas de cas théorique, derrière chacun de ces exemples j’ai un visage, un nom. Des situations qui peuvent aggraver des problématiques de santé mentale, avec des conséquences graves pour les personnes et la société en générale.

L’augmentation des loyers prive aussi les habitantes et habitants de mobilité : puisque les loyers augmentent beaucoup plus vite que l’inflation (jusqu’à cette année), les habitant.es n’osent pas « bouger » de là où ils sont. Même si le logement n’est pas en bon état, même s’il ne leur convient plus. Ils sont comme bloqués de peur de retourner sur le marché.

Cela rend également les locataires très vulnérables aux pressions et refus des propriétaires : avec des loyers élevés qui ne cessent d’augmenter, les locataires sont tentés de « se taire » et de ne pas faire valoir leur droits à un logement décent.

En agissant sur les valeurs locatives, il est certain que vous prendrez une décision qui impactera négativement certain.es propriétaires bailleurs, dont vous ou vos connaissances font probablement partie. Mais, cette décision améliorera considérablement et durablement les conditions de vie de la majorité des bruxelloises et bruxellois.

C’est possible, des baisses et des gels des loyers ont déjà eu lieu par le passé. 72 fois pour être précise. Ces lois temporaires documentées dans un article d’Isabelle Brandon que vous connaissez

2.Une renégociation des crédits hypothécaires octroyés aux propriétaires-occupants. 

Cette mesure était proposée dans le cadre de la crise-covid. Nous pensons qu’il faut éviter à tout prix que des personnes s’appauvrissent. Pour autant, il ne s’agit pas nécessairement à la collectivité à en payer le prix.

3. Une interdiction formelle de spéculer sur les loyers pendant au moins 5 ans avec un gel des loyers imposé après la baisse. 

Faire activement du logement un droit passe par l’affirmation du logement comme une nécessité vitale. A l’inverse, il s’agit d’interdire que le logement ne fasse l’objet de préemption spéculative.

Dans un contexte de très faible fiscalisation des rentes immobilières, il s’agit ainsi d’interdire l’achat pour la mise en location de courte durée, comme  certaines villes ont décidé de le faire (en Hollande notamment).

Ainsi que la pure spéculation, entendue comme l’achat de bâtiments ou de terrains qui seront revendus plus chers plus tard après une sous-occupation et/ou un sous-investissement des propriétaires.

4.Une transparence sur les données du cadastre. Nous ne savons pas à qui appartient Bruxelles. Quelles sont les entreprises immobilières ou fonds d’investissement qui rachètent nos logements et font augmenter les prix ? 

Sans aucune idée de l’évolution de la propriété privée, vous vous condamner à travailler à l’aveugle. Avec les conséquences que cela suppose et qu’Aline Fares a évoqué plus tôt.

De plus, après la disparition du recensement de 2001, sans aucun remplacement exhaustif, nous ne sommes plus capables de produire des statistiques sur les habitations Bruxelloises.

5.Une contribution financière des multi-propriétaires pour aider les locataires en difficulté, les personnes sans-abri et les personnes avec ou sans-papiers qui ont perdu leurs revenus à cause de la crise sanitaire. Les fonds publics prévus dans le PUL doivent être financés par les riches propriétaires-rentiers de la capitale. 

De façon générale et comme évoqué précédemment, il s’agit de penser finement les catégories de propriétaires bailleurs. Afin notamment de se doter d’une politique fiscale sur la propriété immobilière capable d’un minimum de justice sociale.

Il s’agit au fond de cesser de financer les rentes immobilières par de l’argent public.

6.Une réquisition immédiate et gratuite des bâtiments vides pour l’hébergement des personnes sans-abri / sans chez-soi? et une expropriation des propriétaires qui laissent délibérément leur bâtiment à l’abandon, en vue de les transformer en logements sociaux (gérés par les SISP).

Entendons nous, ces bâtiments doivent impérativement être investis et rénovés avant d’être occupés. Les personnes sans abris, et sans papiers ne sont pas des sous-catégories d’humain.es. Aujourd’hui, des milliers de personnes sans papiers et sans abris vivent dans la capitale, certaines dorment dehors. Vous ne pouvez ignorer cette réalité. J’entends parler de crise migratoire depuis que je suis étudiante. Si une telle situation de « crise » persiste c’est parce qu’elle n’est pas adressée comme telle, la répression ne fonctionne pas et ne fonctionnera pas. Bruxelles doit se doter d’espace d’accueil.

7. L’arrêt des expulsions. Des propositions et des idées existent, c’est au gouvernement de les mettre en œuvre

Rappelons que les conséquences financières et psychologiques des expulsions sont graves et ne sont pas « justement » distribuées socialement. Rappelons également que les quelques études en la matière semblent corroborer le fait qu’une majorité des logements impliqués sont peu voire insalubres.

Comme l’ont démontré récemment des chercheurs reçus par ce même parlement, la cause profonde des expulsions n’est pas les loyers impayés mais les loyers impayables. Ceci fait le lien avec notre premier point, car tout ce que nous avons rapidement évoqué ici fait système.

Par ailleurs, des expulsions illégales (dites aussi « expulsions sauvages ») ont lieu à la pelle. De part nos engagements (professionnels ou militant.es), nous savons que ces expulsions sont quasiment impossible à punir : la police refuse de prendre les plaintes, les preuves ne sont jamais suffisantes. Encore tout récemment un propriétaire a ouvert le feu sur l’un de ses locataires, il avait déjà attaqué à la hache les locataires d’un autre immeuble en sa possession… le procureur refuse encore aujourd’hui de se saisir de l’affaire. Des marchands de sommeil agissent violemment en toute impunité, tandis que la justice de paix expulse à tours de bras des locataires pauvres. Cherchez l’erreur.

4. Conclusion

Cette pétition mettait en avant, à la sortie du confinement, des mesures d’urgence. Ces dernières se trouvent être toujours d’actualité, c’est une actualité permanente, qui empire.

Aujourd’hui des personnes s’enrichissent en spéculant pendant que d’autres meurent en rue, ou vivent dans des conditions indignes. Il n’y aura pas de solution consensuelle sur la question du droit au logement. Il faut aller plus loin, et les moyens pour garantir le droit au logement et lutter contre la spéculation immobilière existent:

Nous venons d’en évoquer quelqu’uns.

  • Faire cesser la spéculation immobilière, empêcher que l’on puisse s’enrichir sur la vie des gens ;
  • Réquisitionner les bâtiments vides, exproprier les propriétaires qui laissent à l’abandon des logements et les transformer en logements sociaux ;
  • Faire cesser les expulsions, condamner fermement les expulsions sauvages ;
  • Construire des logements sociaux ;
  • Faire baisser les loyers ;

Il est urgent d’assurer un logement digne et salubre à toutes et tous. Et c’est aussi à vous de mettre tous les moyens en oeuvre pour que ce droit fondamental soit effectif. Le mal logement n’est pas une fatalité, il est construit par des choix politiques qui favorisent l’enrichissement d’une minorité au détriment de toutes et tous.

Il faut rompre avec cette logique marchande du logement, rompre avec ces choix politiques mortifères, et mettre les habitantes et les habitants au centre des préoccupations et des perspectives politiques. Ce n’est pas le cas aujourd’hui.

Cette pétition n’est pour nous qu’une étape, nous qui vous parlons ici, et ceux qui sont dehors, les associations, les collectifs, les locataires, du public, du privé, les habitant.e.s, les sans-abris, les sans-papiers, les discriminé.e.s, les isolée.e.s, les exclu.e.s, les expulsées, .. Par la force des choses, nous continuerons à nous mobiliser, il ne peut en être autrement.

Que les financiers et autre Monsieur Monopoly s’en aillent. Bruxelles n’est pas à vendre. Nous, on veut une ville avec des êtres vivants, heureux et en bonne santé.

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L’accès à la propriété, la pauvreté et les obstacles législatifs en Roumanie

par Ioana Florea , Enikő Vincze

Il existe un mythe selon lequel les Roumains sont des propriétaires « naturels ». Celui-ci fut propagé par l’idéologie anti-communiste de droite après 1990, en vue de légitimer le marché immobilier privé en tant que seule solution de logement et de délégitimer l’implication de l’État dans la promotion du droit au logement pour tous. La législation des années 90 facilitait le droit d’achat d’appartements que les personnes louaient auparavant à l’État. Outre le processus de restitution, il s’agissait d’un mécanisme de privatisation du logement et de marchandisation. Par ailleurs, à la suite de la tendance affichée par la Banque mondiale, [1] l’État a décidé de contribuer à la création du marché du logement. Tout cela s’inscrivait en porte-à-faux avec l’ancienne législation socialiste, dans le cadre de laquelle le parc de logement (toujours 70% en biens personnels) était contrôlé pour ne pas tomber dans la sphère de la spéculation immobilière.

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