Par Andreas Stathopoulos

Le 26 septembre prochain, à Berlin, aura lieu un référendum visant à l’expropriation des sociétés immobilières privées possédant plus de 3.000 logements sur le territoire de la capitale allemande. Si le « oui » l’emporte, cela signifierait la socialisation de 240.000 appartements ! Il s’agirait évidemment d’une victoire majeure pour les habitant·es de cette ville qui subissent depuis de nombreuses années une flambée des loyers… mais aussi d’un signal clair pour toutes les villes européennes : il est possible de faire prévaloir le droit au logement sur celui à la propriété privée ! 

Photo: dwenteignen.de

Pourquoi exproprier ?

À Berlin, au cours des dix dernières années et alors que les salaires ont à peine augmenté, les loyers ont doublé, devenant ainsi de plus en plus impayables pour les habitant·es. Les grandes sociétés immobilières comme Deutsche Wohnen, Vonovia, Akelius et d’autres sont les responsables principaux de cette folie des loyers. Promettant de verser des dividendes élevées à leurs actionnaires, ces sociétés ne cessent d’augmenter leurs loyers et d’imposer des pratiques abusives à leurs locataires. 

Par leur simple taille, ces monstres de l’immobilier ont une influence massive sur le marché locatif berlinois. En effet, ensemble, Deutsche Wohnen & co. possèdent plus de 240.000 logements, c’est-à-dire 12 % de l’entièreté du parc locatif ! La socialisation de ces logements n’aurait ainsi pas seulement un impact direct sur la vie des locataires directement concerné·es, mais aussi sur l’ensemble du marché. Pour la majorité, ces 240.000 logements appartenaient autrefois au Land de Berlin. Il s’agit donc pour les berinois·es de reprendre ce qui leur appartient et qui a été bradé au secteur privé par le politique, de reprendre le contrôle de leur ville en somme.

En mars passé, la Cour constitutionnelle allemande a annulé le gel des loyers que les berlinois·es avaient obtenu l’année précédente protégeant ainsi le droit à la propriété au détriment du droit au logement [1]. Il s’agissait pourtant du premier outil capable de réellement entraîner une baisse des loyers. Les instruments tels que le Mietpreisbremse (frein aux loyers), le Milieuschutz (protection de l’environnement urbain) et le droit de préemption ayant montré leur insuffisance, la socialisation d’une part importante des logements apparaît dès lors comme seul moyen efficace afin d’arrêter la folie des loyers.

Le spectre de l’expropriation. Photo: dwenteignen.de

Comment ?

L’article 15 de la Loi fondamentale allemande, sur laquelle se base la campagne, dit que « le sol… peut être transféré en propriété commune à des fins de socialisation ». Ce même article permettrait également l’indemnisation des sociétés immobilières à des valeurs bien inférieures que celles  du marché via un prêt financé par les loyers des appartements socialisés, évitant ainsi de gréver le budget du Land de Berlin. Par la suite, les appartements continueront à produire des revenus qui permettront, par exemple, de financer de nouvelles constructions pour continuer à agrandir le parc de logements socialisés.

L’enjeu de la socialisation est aussi un enjeu démocratique : dans le secteur privé mais aussi dans le secteur du logement public, les locataires n’ont pratiquement pas voix au chapitre. La socialisation augmentera considérablement la participation et le contrôle des locataires, car les bâtiments seront transférés à une institution publique (AöR – Anstalt öffentlichen Rechts) et gérés avec la participation démocratique des institutions publiques et des locataires. Ainsi, les berlinois·es revendiquent également leur droit au chapitre en matière de politiques urbaines.

Le Kiezteam de Friedrichshain sur le terrain. Photo: dwenteignen.de

Une lutte de longue haleine

Ce référendum est le fruit d’une campagne de longue haleine et d’une mobilisation sans précédent des berlinois·es. 

L’initiative Deutsche Wohnen & Co enteignen (« Exproprier Deutsche Wohnen & Co »), à l’origine de la campagne, est une initiative démocratique de base portée par des individus engagés ainsi que par des personnes issues d’initiatives de locataires, de groupes de politique urbaine et de partis politiques. 

Les décisions de l’initiative sont prises via des assemblées générales bimensuelles. Il existe ensuite sept groupes de travail qui organisent les différentes aspects de la campagne – préparation des AG’s, des actions, communication mobilisation, coordination, contacts etc. –, mais aussi de nombreux groupes de quartier (Kiezteams). En tenant des stands, faisant du porte à porte, collectant des signatures, collant des affiches etc., ce sont ces groupes de quartier qui forment l’épine dorsale de la campagne. Un millier de berlinois·es y participent activement !

Le texte de la résolution avait été soumis déjà en octobre 2018 au Sénat berlinois. Entre avril et juin 2019, une première collecte de signatures – dont l’objectif était d’initier le processus de référendum – avait recueilli 77 001 signatures (il aurait suffi de 20 000 signatures valables en six mois).

Le Sénat de Berlin avait alors bloqué le processus pendant plus d’un an. Ce n’est finalement qu’en septembre 2020 – et après des protestations massives – que la pétition a été déclarée légalement recevable. Après cela, la Chambre des représentants de Berlin avait quatre mois pour traiter la pétition. Cependant, la coalition SPD-Verts-Linke n’a pas pu se mettre d’accord pour adopter la loi de socialisation demandée.

En janvier 2021, l’initiative Deutsche Wohnen & Co enteignen a donc demandé la mise en œuvre de la deuxième étape du processus de référendum, une nouvelle collecte de signatures. De février à juin 2021, plus de 350 000 personnes ont signé pour lancer le référendum (175 000 signatures valides étaient nécessaires) !

Finalement, les mouvements de lutte berlinois auront remporté une première victoire imposant le référendum pour l’expropriation des grands propriétaires de logement. Il se tiendra le 26 septembre 2021, parallèlement aux élections de la Chambre des représentants de Berlin et du Bundestag. Pour que le « oui » à l’expropriation de Deutsche Wohnen & Co l’emporte, il faudra la majorité des votant·es, et la participation d’au moins 25% des personnes ayant le droit de vote.

La financiarisation du logement que subissent les berlinois·es depuis quelques années n’est pas un phénomène isolé, elle touche l’ensemble des villes européennes. À Bruxelles, une enquête journalistique récente a révélé que 498,2 millions d’euros avaient été investis par de tels fonds pour le rachat d’unité de logements[2]. À Madrid, le géant états-unien Blackstone a généré une telle augmentation des prix que les loyers ont parfois doublé en l’espace de trois ans (!), avec pour conséquence de nombreuses expulsions forcées de ménages-locataires. Dublin, Paris, Londres, Copenhague et Lisbonne ne sont pas épargnées non plus. C’est pourquoi il est essentiel de soutenir le combat des habitant·es de Berlin, notamment en le faisant connaître ! 


Ja! Photo: dwenteignen.de

[1] La Cour a considéré que les Länder n’étaient pas compétents à prendre ce genre de décisions et qu’il revient au seul gouvernement fédéral de limiter le droit de propriété… ce qui rend la tâche difficile aux Länder allemands censés garantir le droit au logement de leurs habitant·es.

[2] https://www.eldiario.es/economia/nuevos-duenos-vivienda-han-transformado-fondos-internacionales-mercado-inmobiliario_1_7935880.html

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