Ou pourquoi le → CADTM soutient la → Pétition pour une baisse des loyers à Bruxelles! lancée par Action Logement Bruxelles

Par Eva Betavatzi

L’accès à la propriété privée est au centre des politiques du logement en Europe, comme c’est désormais le cas dans la plupart des pays capitalistes, et la Belgique ne fait pas exception. Les aides de l’État participent activement à l’augmentation des crédits hypothécaires ces dernières années. Entre 2003 et 2017, la dette hypothécaire privée belge est passée de 29,5% à 54,7% du PIB[1]. En 2018, les banques belges avaient octroyé un total de 242,7 milliards d’euros de crédits hypothécaires, dont 60,9 milliards ont été titrisés[2]. À l’heure actuelle, 3 millions de personnes sont débitrices aux banques pour avoir contracté des crédits hypothécaires, soit 55% de la population active ![3] En 15 ans, les prix de l’immobilier ont presque doublé dans tout le pays, et l’accès au crédit hypothécaire des ménages moins riches a diminué[4] ce qui a d’avantage contribué à renforcer les problèmes d’accès au logement.

L’augmentation des dettes privées, et en particulier celle des crédits hypothécaires ces dernières années, est extrêmement inquiétante, d’autant plus si on considère les conséquences plus que probables de la crise économique en cours exacerbée par la pandémie de Covid-19. Cette augmentation a causé une hausse des prix généralisée de l’immobilier, des prix d’achat mais aussi des loyers[5]. Les ménages pauvres se retrouvent ainsi de plus en plus exclus de leurs lieux de vie (logements et quartiers), l’accès au logement des classes moyennes est rendu plus difficile, et une forme de « privatisation » de la question du logement s’est durablement installée, le droit au logement étant pourtant un droit fondamental reconnu par l’article 23 de la Constitution belge qui devrait être assuré par l’État. L’expression « avoir une brique dans le ventre » témoigne de l’ancrage historique d’une politique qui encourage l’achat individuel orchestrée par les pouvoirs publics au bénéfice des acteurs du marché immobilier et du système bancaire.[6]

Encore aujourd’hui, les propriétaires bénéficient d’innombrables avantages fiscaux[7], contrairement aux locataires qui eux ne bénéficient de presqu’aucune aide publique. Rappelons que pour avoir un toit au-dessus de sa tête, il existe deux possibilités : la location ou l’achat (à moins d’avoir hérité de son logement ou d’avoir signé un contrat d’occupation précaire). Or le marché privé – acquisitif et locatif – est largement majoritaire par rapport au marché public. Le fait que la location ne présente que peu d’avantages (car elle n’est pas soutenue, régulée, contrôlée) pousse les habitant.e.s à faire le choix de l’endettement. Les logements mis à disposition sur le marché locatif ne sont tout simplement pas toujours adaptés (suroccupation, insalubrité, …), parfois non-conformes aux règlementations en vigueur (en termes d’ensoleillement, de surface disponible, d’hygiène, de normes incendie…), parfois simplement inaccessibles (discrimination des propriétaires à l’égard des futurs locataires, pression démographique, …) et, pour la majorité, ils sont trop chers. Les contrôles des logements mis en location ne sont pas suffisamment nombreux, et les propriétaires ne sont que très rarement sanctionnés lorsqu’ils louent des biens insalubres, et/ou trop chers (les prix des loyers ne sont pas contraints, c’est « le marché » qui décide).[8] Pas (ou trop peu) de sanctions non plus si l’attribution d’un logement mis en location se fait de manière discriminante et excluante. Les familles nombreuses, précaires, ou sujettes à des discriminations ont ainsi beaucoup de peine à trouver un logement adapté à leur besoin et abordable.

Le recours à un crédit permet d’échapper à ces nombreux problèmes, au moins partiellement, même s’il en pose d’autres. Il constitue une « auto-régulation » de son loyer, il garantit l’accès à un logement (à condition de pouvoir rembourser son crédit) ou encore il permet de s’assurer un lieu de vie convenable et adapté. En d’autres termes, le crédit hypothécaire semble être une solution individuelle à l’absence d’une politique publique sérieuse en Belgique pour le droit au logement face à un marché discriminant et excluant.

Mais le crédit hypothécaire est une fausse solution. Tout d’abord les politiques de crédit facile alimentent la spéculation immobilière, les situations de bulle, et à ce titre mettent l’ensemble de l’économie en danger à moyen-long terme. Mais, surtout, elles hypothèquent notre avenir politique.

Comme l’écrivait déjà Smets en 1977 cité par Manuel Aalbers[9]: un prêt hypothécaire est un outil disciplinaire, les travailleur.euses sont contraint.e.s de poursuivre leurs activités pour rembourser leurs mensualités et se voient plus réticent.e.s à faire grève et (j’ajoute) plus largement à remettre en cause le modèle de société actuel. La promesse de remboursement empêche d’imaginer d’autres possibles. Toute perspective de remise en cause de la croissance du PIB et du massacre écologique en cours, par exemple, est mise à plat car il faut produire et travailler pour rembourser[10].

Les habitant.e.s ne sont pas responsables de la hausse des prix des loyers ou d’achat, du manque d’accès qui en découle, des processus de gentrification, de marchandisation et de financiarisation (le logement étant la proie des investisseurs en manque de « placements sûrs »). En achetant, ils espèrent que cela leur apportera des bénéfices mais qu’en est-il de leurs enfants qui ne pourront pas trouver de logements abordables ? Aussi, beaucoup aimeraient pouvoir travailler moins, travailler mieux, pour pouvoir passer davantage de temps avec leurs familles, leurs ami.e.s.  Mais ce sont elles et eux qui se voient contraint.e.s, de plus en plus, de s’endetter auprès de leur banque pour pouvoir accéder à une relative sérénité en matière de logement. La vie attendra : avant, il faudra rembourser.

[1] http://www.cadtm.org/La-financiarisation-du-logement-en-Belgique-et-a-l-etranger

[2] Ibid

[3] https://www.nbb.be/fr/publications-et-recherche/evolutions-statistiques-de-lemploi/tableaux-synthetiques/population-active

[4] Le crédit hypothécaire a été rendu accessible aux ménages plus pauvres via des initiatives publiques telles que le Fonds du logement bruxellois.

[5] Depuis le début de la crise sanitaire, les prix des logements ont continué à augmenter en Belgique alors que les revenus de nombreuses personnes ont fortement diminué.

[6] https://www.cadtm.org/Comment-les-banques-tirent-encore-profit-de-nos-loyers-en-periode-de

[7] https://www.actionlogementbxl.org/2020/07/13/se-defaire-de-la-toute-puissance-du-credit-hypothecaire-1-3/

[8] https://www.lalibre.be/belgique/judiciaire/la-justice-de-paix-peine-a-sanctionner-les-proprietaires-qui-louent-des-taudis-une-etude-pointe-l-indecence-de-certains-bailleurs-5f7cba997b50a641f62dd53e

[9] http://www.cadtm.org/La-financiarisation-du-logement-en-Belgique-et-a-l-etranger

[10] Maurizio Lazzarato, Gouverner par la dette, Paris, Les Prairies ordinaires, 2014

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