Confinement: Qui paie la crise ?
Les revenus de remplacement vont en grande partie servir à payer les loyers et les crédits. In fine, ce sont les banques, les propriétaires et plus largement les détenteurs de capitaux qui en tirent profit. In fine, c’est par des coupes dans les budgets de l’état et des impôts, essentiellement prélevés sur le travail, que ces revenus de remplacement pourraient être financés.
En maintenant le paiement des loyers en période de crise, on maintient la puissance des banques. Repartons depuis le début.
Vous êtes locataire
Si vous êtes locataires, c’est peut-être que vous n’avez pas eu d’autre choix, vous n’avez jamais eu assez d’argent pour demander un crédit à votre banque et devenir vous aussi propriétaire. Ou alors, vous avez choisi de ne pas vous endetter pendant de longues années en espérant avoir accès à un logement quand même. Vous n’avez probablement pas eu la chance de bénéficier d’un bel héritage, ce qui vous force à travailler puis donner une partie de vos revenus pour avoir un toit. Quelle que soit la raison, vous êtes locataire, vous payez donc un loyer à un propriétaire.
Cette situation implique que vous devez avoir un revenu pour avoir un toit. Sans cela, vous ne pouvez pas payer votre loyer et le propriétaire qui a accepté de signer un contrat de bail avec vous pourra vous expulser – après le confinement et la levée du moratoire sur les expulsions. Or, vos revenus ne sont pas garantis par votre bonne volonté, ils peuvent baisser ou disparaître par l’action de votre employeur, par la disparition de vos clients, par l’apparition de mesures de confinement et par des crises économiques que vous ne contrôlez pas. C’est pourquoi, avec la crise du coronavirus, il est possible que vos revenus soient plus faibles qu’avant et que vous ne puissiez rien y faire. Pourtant, vous restez redevable au propriétaire de votre logement du paiement d’un loyer qui lui ne baissera pas, si ce n’est par la bonne volonté du propriétaire.
Le propriétaire de votre logement
Le propriétaire de votre appartement ou de votre maison pourrait avoir besoin de cet argent pour vivre ou pour rembourser son crédit à la banque. D’une certaine façon, c’est donc à vous de vous assurer qu’il ait les moyens de faire l’un ou l’autre puisque vous habitez sa propriété. Que vous le vouliez ou non, le fait d’être locataire vous rend responsable du maintien d’une partie des revenus du propriétaire à qui vous louez.
Le propriétaire de votre logement ne produit rien, il met à disposition un bien qui lui appartient légalement. Mais ce bout d’espace que vous occupez lui donne le droit de puiser dans vos revenus. Vos revenus à vous sont déterminés par le travail que vous fournissez. Avec la crise du coronavirus, vous êtes probablement contraint.e de baisser ou d’arrêter votre activité professionnelle, vous ne produisez plus (autant), vos revenus baissent ou disparaissent. La valeur de la propriété et de son prix de location n’étant pas liée à la valeur de la production et donc du travail, vous êtes coincé·e·s.
Si vos revenus baissent et que votre loyer reste inchangé, une plus grande partie de l’argent que vous arrivez encore à gagner (ou à percevoir) ira directement à votre propriétaire. Cette situation ne sera soutenable que tant qu’il vous restera assez d’argent pour vous nourrir, couvrir vos soins de santé et payer vos factures. Si en revanche le paiement de votre loyer ne vous permet pas de couvrir ces autres dépenses, alors vous serez contraint-e d’arrêter de payer votre loyer et vous n’aurez pas tort. Vous devez continuer à vous nourrir, à vous soigner, à avoir accès à des services de base, pour continuer à vivre.
Contrat de location
Votre propriétaire a misé sur votre capacité à payer votre loyer quand il a accepté que vous occupiez son bien. Votre capacité étant affaiblie par un contexte exceptionnel, il serait logique que le bail que vous avez signé puisse être revu, renégocié ou annulé. Cependant, la législation actuelle ne le prévoit pas. Les propriétaires semblent épargnés par les effets de la crise.
Les banques
L’État belge a soutenu l’accès à la propriété depuis des décennies en offrant des avantages fiscaux importants à tous les propriétaires : déductions fiscales, baisse de certaines charges, réduction d’impôts, subventions publiques, etc. Il a ainsi poussé de nombreux ménages et entreprises à s’endetter pour acquérir des biens immobiliers plus ou moins grands. Du côté de la location, l’État n’offre pas de tels avantages fiscaux aux locataires d’espaces de vie, alors que c’est le cas pour la location d’espaces de travail.
Grâce au coup de pouce de l’État (et – ces dernières années – à des taux d’intérêts bas), les banques belges ont octroyé de plus en plus de crédits hypothécaires. En Belgique, le montant des crédits hypothécaires octroyés est passé de 29.5% du PIB en 2003 à 54.7% du PIB en 2017 alors que les prix du logement ont presque doublé. Le loyer que vous devez continuer à payer au propriétaire de votre logement lui permet très probablement de rembourser un de ces crédits. Les propriétaires sont en majorité redevables à leur banque, même s’ils avaient les moyens de payer « en cash » leur logement. Pour occuper ou pour investir un logement, certains propriétaires n’avaient pas d’autres choix que de s’endetter auprès de leur banque, alors que d’autres, ont choisi d’acheter à crédit pour accélérer leur capacité à acquérir des biens (sans attendre le remboursement d’un premier crédit par les bénéfices d’un loyer). Ces dernières années, recourir à un crédit hypothécaire offrait de nombreux avantages, le taux d’emprunt étant particulièrement bas par rapport aux bénéfices de l’épargne.
Les banques octroient des crédits, c’est une de leurs principales activités et elles en tirent une grande partie de leurs revenus. Au-delà des bénéfices qu’elles tirent des crédits hypothécaires, elles « s’amusent » à les titriser, c’est-à-dire à former des paquets de crédits (des promesses de remboursement) qu’elles revendent ensuite à des investisseurs. Grâce à ce processus, elles arrivent à gagner beaucoup plus d’argent que ce qu’elles pourraient tirer du remboursement des intérêts des crédits qu’elles octroient. En d’autres termes, non seulement elles gagnent sur les crédits qu’elles ont octroyés, mais elles gagnent aussi sur le commerce de ces crédits auprès d’investisseurs tiers. En 2018, un quart des crédits hypothécaires belges étaient ainsi titrisés soit 60.9 milliards d’euros sur un total de 242.7 milliards.
Un investisseur peut acheter et revendre des titres de crédits hypothécaires et gagner beaucoup d’argent. Ce phénomène a une influence non négligeable sur les prix des logements puisqu’il encourage les banques à octroyer toujours plus de crédits : elles n’en portent quasiment plus le risque une fois ce crédit revendu à un tiers ! Qui dit plus de crédits, dit plus de transactions et donc une augmentation de la demande et des prix – et cela a sans aucun doute eu un effet important sur le prix de votre loyer (sauf dans le cas d’un très vieux bail). Ainsi, vous payez une somme au propriétaire de votre logement, qui lui paie son crédit à une banque, qui elle crée les conditions qui déterminent le prix de votre logement. Les banques ont donc à de nombreux égards un rôle déterminant dans le lien qui vous lie au propriétaire du bien que vous louez.
Récapitulons : les investisseurs gagnent de l’argent en achetant et en revendant des promesses de remboursement de propriétaires qui ont emprunté aux banques. Cela a pour effet leur propre profit, et pousse les banques à octroyer plus de crédits. Les banques tirent profit des crédits octroyés via le remboursement des intérêts et la titrisation essentiellement. Ce profit dépend de la capacité de remboursement des propriétaires. Les propriétaires eux tirent profit des loyers et des bénéfices de la propriété. Ils bénéficient également de conditions favorables d’octroi de crédits. En tant que locataire, de quoi profitez-vous ?
Le système financier actuel se base sur l‘absorption de vos revenus mais vous n’en tirez aucun profit. Vous avez simplement accès à un toit ce qui est un de vos droits les plus fondamentaux. Il existe une voie pour sortir de cette impasse, c’est la socialisation du système bancaire. Une intervention publique permettrait d’éviter une faillite du système bancaire (dépôts et paiements). Ensuite, elles devront fonctionner sous contrôle citoyen pour éviter qu’elles ne servent qu’aux intérêts privés. Elles ont un rôle tellement essentiel, il est temps qu’elles agissent pour les intérêts de la majorité.
Conclusion
Les revenus de remplacement, payés par l’État, doivent-ils servir à payer des loyers et à rembourser des crédits ?
Pour ce qui est des crédits, vraisemblablement pas obligatoirement, puisque les banques permettent une suspension des remboursements (intérêts et capitaux) durant les 6 prochains mois. En revanche les loyers eux devraient être versés ?
Tout cela évite de remettre en question la centralité du rôle des banques dans l’accès au logement, et le fait que ces institutions soient privées. Cela évite aussi de questionner le coût différé des mesures de sauvetage, qui – si les politiques d’après crise de 2008 se répètent – pourraient bien être payées par la population, et donc les plus précaires. Tout cela pendant que les propriétaires continuent de percevoir des loyers dont ils n’ont pas vitalement besoin ?
Cette situation est injuste, on le voit immédiatement : on attend des locataires, tendanciellement plus pauvres, qu’ils paient la crise. Qu’ils voient leurs revenus diminuer, sans se plaindre, en vivant moins bien.
La question en définitive est celle-là : qui paie la crise du Coronavirus et qui va payer le coût de la crise financière et du sauvetage des banques dans lequel les états se sont engagés en s’endettant toujours plus?
Il nous faut regarder à une autre échelle : qui va payer ? Ceux qui ont du capital (de l’argent, des actions, des logements qu’ils n’occupent pas et dont les loyers leur permettent de générer des revenus) OU tou·te·s les autres, ceux et celles qui ne possèdent pas grand-chose et dont chaque mois le revenu constitue la (seule?) richesse ?
Le marché immobilier nous maintient dans un cercle vicieux…
Propriétaires vs locataires, voilà la situation dans laquelle nous sommes. On la juge normale, on y est habitué.
Pour de nombreuses personnes, cette situation n’est presque jamais problématique : on trouve un logement sans difficulté, on paie, parfois c’est un peu « juste », mais on y arrive.
Pour de nombreuses autres personnes c’est beaucoup plus compliqué, toujours.
Mais quoi qu’il en soit, la situation actuelle nous met dos au mur : beaucoup de locataires ne pourront pas payer leurs loyers sans gagner de l’argent en travaillant.
Et quelques propriétaires, ceux qui ont besoin des loyers de leur(s) locataire(s) pour survivre vont être montrés en exemple – telle l’exception qui confirme la règle ou l’arbre qui cache la forêt… pour nous pousser tous à payer nos loyers, sans remettre en question le système dans lequel nous sommes.
Peut-être qu’en fait la question n’est pas « locataires vs propriétaires », mais : « qui paie le coût de la crise économique qui (re)commence » ? Ne laissons pas les riches et les banques récupérer l’argent !
Parce que, reprenons, de quoi a-t-on besoin pour vivre : de nourriture, d’eau, d’un toit, de relations sociales, etc… de sécurité (pour subvenir à nos besoins).
Nous n’avons pas besoin d’être propriétaire, nous avons besoin de savoir qu’on aura un toit.
Nous n’avons pas besoin que quelqu’un bosse pour nous verser une part de son salaire pour compléter notre pension : nous avons besoin d’une bonne pension.
À la propriété et sa toute puissance, il faut substituer la solidarité !
Bonjour,
Merci pour votre article très pédagogique.
Vous avez raison de nous éclairer sur ces questions fondamentales.
Le justiciable devrait avoir des recours. Il serait intéressant dans une prochaine publication d’entendre des Juges de Paix qui sont et vont être de plus en plus confrontés à des situations de non paiement de loyer avec des conséquences parfois dramatiques.
Bien à vous